DU SANG ET DES POILS

Corps, Masculinités, Sexualités, Sport
Collège, Lycée

Note préliminaire


Nombre des remarques/analyses/commentaires ci-dessous et aussi dans les annotations viennent de nos lectures et visionnages de documents cités dans la partie PROLONGEMENTS.
Nous vous invitons bien évidemment à lire, regarder ces sources pour approfondir le sujet.

Voir aussi, en complément, les ANNOTATIONS.


SANG 

Le sang des règles dérange et gêne, les filles, les femmes, comme les hommes. De nombreuses femmes ont honte, vivent dans la peur de tacher leurs vêtements et que cela SE VOIE ;  on ne parle des règles ("t'as tes règles ou quoi?") que pour pointer un problème d'humeur sinon c'est le silence radio et on échange tampons et serviettes furtivement.  Celle qui a une tache visible est le plus souvent moquée.
On parle d'indisposition comme si être réglée était une maladie. Et en même temps, quand la femme se plaint de douleurs on lui retorque "qu'elle fait bien des histoires".
Dans certains pays, les filles sont mises à l'écart pendant leurs menstrues, voire complètement isolées du reste de la communauté, certaines tâches leur sont interdites. Parfois les filles n'ont pas même le droit d'aller à l'école, d'où une déscolarisation qui met encore plus les filles de côté dans des sociétés où elles n'ont déjà que peu de place et peu de droits.
Les religions ne font qu'amplifier ce phénomène de rejet désignant la femme réglée comme impure.

Au chapitre économique, il ne faut pas oublier l'impossibilité pour de nombreuses femmes d'acheter des protections faute de moyens financiers (le marché est juteux et la somme annuelle consacrée à l'achat de serviettes et tampons est importante). 
De même, il est indispensable de s'assurer que ces produits ne sont pas bourrés de produits chimiques nocifs voire dangereux.


On trouve des distributeurs de préservatifs mais pas de distributeurs de serviettes et de tampons, cela semble pourtant au moins aussi indispensable.


Pourtant, le sang peut être un signe de courage, de vaillance, de force, ...  Sang du guerrier ou du combattant, le sang associé à la violence n'est pas considéré comme sale ou impur, il est valorisé (voir par exemple Games of Thrones où des femmes aussi versent le sang violemment).

Le sang bu par les vampires dans les films d'horreur fait frémir mais provoque une forme d'excitation.

Comment expliquer cette différence ?

Si on peut imaginer qu'il y a très longtemps ce sang pouvait paraître mystérieux, l'on connait aujourd'hui tout du cycle menstruel et de la composition du sang des règles ; à certaines époques, le "mystère" des règles faisait peur et les superstitions ont permis de canaliser ces peurs. La science a ensuite légitimé les préjugés, faisant la part belle à des croyances plus folles les unes que les autres. 

Une femme qui a ses règles n'a pas été fécondée. Le sang des menstrues est alors associé à l'échec dans les sociétés où l'homme doit se "prolonger" coûte que coûte et où la femme n'a pas son mot à dire.

La sexualité pendant les règles est rarement évoquée, pourtant des femmes, des hommes apprécient d'avoir des rapports sexuels aussi à ces moments-là.

La femme en période d'ovulation, pendant "ses chaleurs" peut aussi sembler dangereuse pour l'homme qu'elle peut attirer, séduire, maîtresse de sa sexualité et de ses désirs.
Femme=danger, on retrouve cette croyance dans les sociétés les plus diverses, les religions, comme dans la littérature et ceci à la plupart des époques.

Nombreuses donc les croyances qui témoignent d'une méconnaissance ou d'une peur qui contribuent au rapport inégalitaire entre les femmes et les hommes.

Voir par exemplePourquoi les règles fascinent autant qu’elles effraient

Le sang de l'épouse lors de la nuit de noces témoigne de sa virginité : l'époux est valorisé, la tache sur le drap (ici le sang n'est pas sale !) offerte au regard de tous prouve à la fois la pureté de la femme et la virilité de l'homme  (alors que non, les femmes ne saignent pas toutes la 1ère fois qu'elles font l'amour, c'est une autre croyance persistante).

 

"Ce qui est valorisé alors par l'homme, du côté de l'homme, est sans doute qu'il peut faire couler son sang, risquer sa vie, prendre celle des autres, par décision de son libre arbitre ; la femme « voit » couler son sang hors de son corps ... et elle donne la vie (et meurt parfois ce faisant) sans nécessairement le vouloir ni pouvoir l'empêcher. Là est peut-être le ressort fondamental de tout le travail symbolique greffé aux origines sur le rapport des sexes".
Héritier Françoise. Le sang du guerrier et le sang des femmes. In : Les Cahiers du GRIF, n°29, 1984. l'africaine sexe et signe. pp. 7-21
http://www.persee.fr/doc/grif_07706081_1984_num_29_1_1629

"Les hommes auraient un sang propre et héroïque (on érige des autels à ceux qui le versent pour la patrie) alors que le sang féminin serait « autre » (on érige redoutablement peu d’autels aux femmes qui versent leur sang pour concevoir les petits soldats qui verseront leur sang pour la patrie). Puisqu’on est dans le double ou le triple standard, rappelons que le sang semble nettement moins nous incommoder devant notre steak tartare ou notre boudin noir.
Ce dégoût collectif est d’autant plus malvenu que le sang, habituellement, entre dans la catégorie romance. Nous l’érotisons : fascination pour les vampires, pour les corps des boxeurs… ou pour les coups de cravache...
https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2016/10/16/faire-l-amour-pendant-ses-regles-oui-non-comment_5014534_4497916.html

 

Quelques chiffres 

  • 26 milliards d'euros/an, c'est ce que rapporte la vente des protections périodiques dans le monde.
  • 500 millions de femmes n'y ont pas accès (trop pauvres).
  • 16 millions de femmes saignent tous les mois en France.
  • 1,7 milliards de femmes âgées de 12 à 51 ans saignent chaque mois dans le monde.

Le marketing

Les règles représentent une aubaine pour l'industrie des produits d'hygiène : plus on réussira à nous faire croire que les règles sont synonymes de saleté, de mauvais odeur, d'inconfort, d'empêchement, plus les produits "invisibles" "anti-fuite" (comme les couches pour bébé)  "fraicheur" "légèreté" dotés de "murs" et de "barrières" intégrales seront présentés comme des produits indispensables. On y adjoint des lingettes, des déodorants, des gels lavants etc...,  alors que le vagin est "auto-nettoyant", voir à ce propos : 
http://www.slate.fr/story/166763/vagin-auto-nettoyant-produits-hygiene-feminine

Car oui, les femmes se doivent de dissimuler à tout prix ce sang qui doit rester secret, vivant dans l'angoisse de la fuite, de la tache honteuse, à la merci de mauvaises odeurs, empêchées de contacts, de sports, etc.

Dans ces publicités, des femmes (jeunes et jolies, blanches le plus souvent) sautillent, font du sport, animent des réunions, vont danser, etc ; grâce à leurs protections hygiéniques elles sont sûres d'elles, sûres que personne ne devinera l'horrible situation qui est la leur ! Comme si les règles empêchaient forcément d'avoir une vie normale (si on considère que sautiller, faire du cheval, de l'acrobatie, de la danse sont des activités normales et régulières pour le commun des femmes). Quant aux femmes qui ont des règles douloureuses, voire très douloureuses et, de fait, ne peuvent vivre normalement à certains moments de leur cycle, utiliser telle ou telle serviette ne changera rien à la situation. 

Avec beaucoup d'hypocrisie, les publicités testent les serviettes et les tampons avec un liquide bleu (sauf très récemment, et cela a beaucoup fait parler), on ne montre pas l'endroit où se colle la serviette (la culotte),  ni comment placer les ailerettes auto-collantes; idem pour les tampons. Pas ou peu de publicités pour les coupes menstruelles : elles ne sont pas rentables, leur durée de vie est de 5 ans minimum!

De même on emploie le terme de "zone intime" sans employer les vrais mots : vulve, lèvres, vagin, des termes que les filles elles-mêmes emploient peu.
 

En guise de conclusion...

Il n'y a pas d'obligation à aimer avoir ses règles surtout quand on souffre mais il est nécessaire de bien comprendre qu'elles ne sont pas "dégoûtantes" ; ce dégoût est culturel, construit, dans le but de nier une partie de la réalité du vécu des femmes pour mieux les dominer et aussi par peur de ce "mystérieux" cycle féminin. 

La publicité ne fait que renforcer ces croyances pour mieux vendre un "idéal" sans couleur et sans odeur à coup de produits souvent inutiles. 

Deux vidéos

Les règles, un sujet encore tabou 10'44
Elise Thiébaut
https://matilda.education/course/view.php?id=266

et

Comment les règles sont devenues taboues
https://www.dailymotion.com/video/x6bk1lc


POILS  

Les poils sont mal vus, pire, ils dégoutent ; ils nous apparaissent comme le signe d’un manque d’hygiène alors que justement leur présence sur notre corps a une fonction hygiénique : ils retiennent la sueur et préviennent les infections.

Ainsi l’épilation intégrale du pubis n’est absolument pas « hygiénique » au contraire, les irritations, blessures dues à l’épilation (quel que soit le moyen utilisé) peuvent amener des germes et un risque accru de MST. Sans oublier les poils incarnés et les blessures plus graves notamment chez les hommes.

"L’épilation pubienne irrite et déclenche une inflammation des follicules pileux, laissant des plaies microscopiques ouvertes. Une épilation fréquente […] a pour effet d’entraîner une irritation régulière de la zone rasée ou épilée à la cire. Combiné à la lumière et à l’environnement humide des organes génitaux, cela devient un milieu propice à la multiplication des plus mauvaises bactéries pathogènes… »

https://www.topsante.com/beaute-soins/soins-du-corps/epilation/epilation-du-maillot-des-risques-insoupconnes-23403

Ce dégout est largement alimenté par les messages publicitaires pour des produits qui bloquent la transpiration, suppriment ou masquent les odeurs sans oublier tous les soins dépilatoires et les rasoirs… Un business pour le secteur très florissant de la vente de produits dits d’hygiène. Dans ces publicités il s’agit de rester « fraiche » (mot déjà trouvé dans le vocabulaire anti-sang des règles) d’avoir confiance en soi, de se sentir libre (maitre mot du vocabulaire publicitaire) de faire du sport même extrême sans dégager de mauvaises odeurs… On nous vend des produits chimiques qui sentent, parfois très forts, pour cacher des odeurs supposément dérangeantes et qui peuvent l’être si on ne se lave pas.

Donc les poils qui servent à retenir la sueur sont rasés (marché de l’épilation, des produits dépilatoires, des crèmes, gels, cires, rasoirs, etc.) comme la sueur n’est plus retenue on bloque la transpiration (déo anti-transpiration) comme on a quand même peur de sentir, on vaporise un déo fraicheur, et là nous ne parlons que des aisselles. Car il reste pour les femmes, les jambes, bien souvent les bras, le dessus de la lèvre supérieure et le pubis : celui-ci se doit à minima d’être entretenu via une coupe à la brésilienne ou en ticket de métro voire épilé intégralement, mais surtout pas de toison naturelle, ça aurait l’air trop négligé.

Le poil masculin est mieux toléré encore faut-il qu’il soit logé au bon endroit et qu’il soit domestiqué, contrôlé : la barbe est de retour, mais pas n’importe quelle barbe ! Les barbiers font un retour en force et nombreux sont les tutos sur youtube qui expliquent comment entretenir sa barbe pour qu’elle n’aie pas l’air négligée (sauf dans l’univers du métal ou une grosse barbe fournie est un signe d’appartenance). Plus de torses velus pourtant autrefois synonymes de virilité, le corps est glabre, épilé, le visage poilu, il se distingue ainsi de celui des femmes sont sommées d'être lisses de partout.
Le sexe aussi peut-être épilé intégralement, les témoignages d’adolescents blessés lors de tentatives ratées sont nombreux sur le net.

Le poil est donc devenu un ennemi à anéantir.

Il évoque l’animalité, le primitif, l'incontrôlé.
Il évoque aussi la sexualité, les poils apparaissent d’ailleurs à la puberté, au moment où le corps se transforme, et la saleté supposée du poil est à mettre en lien avec la saleté supposée du sexuel ; le paradoxe du poil pubien est qu’il est beaucoup plus sexualisé qu’un pubis glabre (seules les petites filles ont un pubis naturellement glabre). Encore aujourd’hui, un tableau comme « L’origine du monde « de Courbet choque, à tel point que sa publication sur les réseaux sociaux est interdite. Un tableau ou l’on voit pourtant de façon moins détaillée les lèvres et la vulve de la femme peinte que dans les films pornos que consomment ados et adultes sur internet…


Il y a donc une injonction au lisse sous prétexte de propreté, voire de respect (?) pour son partenaire…Les femmes qui affichent leurs poils (aisselles , jambes) sont insultées sur les réseaux sociaux. Quel ordre dérangent-elles ?
Car ce « lisse », là où « rien ne dépasse » nous renvoie aussi un idéal moral où il importe avant tout d’être dans la norme et de se plier aux règles, le contraire de la liberté vantée par la publicité.

2024 : Le confinement a joué un certain rôle dans la libération du corps chez de nombreuses femmes : plus de soutiens-gorges, de teintures et d'épilation...

Dans un article de juillet 2024 du Monde, "Ces jeunes femmes qui refusent le « diktat » de l’épilation : « Quand les gens louchent sur mes poils, je suis contente de ne pas ciller »" on lit :

"Selon un sondage IFOP paru en 2021, 34 % des 18-24 ans disent avoir réduit leur pratique épilatoire après le premier confinement, lors de la pandémie de Covid-19, contre 18 % des femmes tous âges confondus....
« Le rôle du poil est politique, analyse Miléna Younes-Linhart, doctorante spécialiste de la sociologie de l’épilation. Ne pas s’épiler, c’est refuser que son corps soit conforme au désir des hommes et aux normes corporelles intériorisées de l’hétérosexualité. » 

En guise de conclusion…

Il importe donc de se sentir libre d’épiler ou non tout ou partie de son corps et d’accepter que d’autres fassent des choix différents. Si l’on peut considérer que le fait de ne pas se laver a un impact sur les autres et pas seulement sur soi (odeurs fortes) les poils eux n’engagent que la personne qui les garde, ou pas.
La publicité nous vend un idéal (mince, grande, jeune, blanche, belle et beau, blanc, musclé, jeune, sportif) créant des besoins pour lui correspondre, besoins qui nécessitent l’achat de quantité de produits : ainsi les industries cosmétiques et de produits d’hygiène engrangent des profits considérables.

Influence de la pornographie sur l’épilation intime 

Enquête de l’Ifop pour Tukif.com – Avril 2014

Indissociable d’un univers pornographique qui l’a popularisée ces dernières années, la pratique de l’épilation totale des poils pubiens illustre plus que toute autre l’influence de la culture porn et notamment sa capacité à imposer ses représentations du corps aux catégories les plus jeunes de la population.

Les résultats de l’étude confirment le développement de l'épilation intégrale chez l’ensemble des Françaises (14% s’épilent complètement) et tout particulièrement chez les jeunes : près d’une fille sur deux de moins de 25 ans (45%) est épilée intégralement. Et si l’on additionne toutes les formes d’épilation impliquant un rasage des poils autour des lèvres (maillot intégral, ticket de métro, maillot brésilien avec épilation des poils sur les lèvres), la proportion de femmes épilées de « près » monte à 22% chez l’ensemble des Françaises et à 56% chez les jeunes de moins de 25 ans.

Sur ce point, les jeunes filles se distinguent nettement du reste de la gent féminine mais leur comportement ne fait en réalité que s’aligner sur les goûts des hommes du même âge : près des deux tiers des hommes de moins de 25 ans (63%) préférant que leurs compagnes optent pour un type d’épilation où les poils des lèvres sont rasés.

Chez les jeunes femmes : la moitié des filles de moins de 25 ans (45%) et un quart des femmes de 25 à 34 ans (26%) sont épilées intégralement, contre à peine 6% des femmes de plus de 35 ans. C'est donc dans les générations où la consommation de porno est la plus élevée que cette pratique est la plus forte.

 

Une vidéo

Une vie : les poils
 

Sur les jambes, les aisselles ou le pubis, les poils des femmes peuvent déranger. Et celles qui décident de les garder sont souvent stigmatisées.
Comment en est-on arrivé là ?

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