ALCOOL: MARKETING GENRÉ ET SEXISME
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Introduction
"Quand j’ai commencé à travailler sur l’alcool il y a quelques années, j’ai été frappée par la proximité et la similitude du marketing développé par l’industrie de l’alcool pour séduire les jeunes femmes et celui des compagnies de tabac. Par exemple, l’industrie du tabac a lancé des cigarettes aromatisées, puis des cigarettes «light». On a maintenant la même chose avec l’alcool et la mise en avant de boissons «light» / 0 calorie, des boissons au goût sucré (rosé pamplemousse, etc.)...... Mais l’enjeu prioritaire est de faire commencer à boire le plus tôt possible. Et il me semble que nous sommes moins sur un marketing genré qu’à destination des jeunes, en comparaison avec les adultes. L’enjeu est de capter vite les jeunes, hommes comme femmes, car ce sont les consommateurs de demain...."Source: Interview. Industrie de l'alcool : «Pour séduire les jeunes femmes, un marketing similaire à celui du tabac»
Analyse, commentaires (en complément des annotations)
Le but de marketing, de la publicité est de faire vendre, de donner aux consommateurs l'envie d'acheter le produit vanté même s'ils n'en ont pas besoin ; en segmentant le marché, le ciblage est plus précis, les ventes sont décuplées. Ainsi, depuis quelques années, a-t-on vu apparaitre un marketing genré ou sexué qui tente de nous persuader qu'hommes et femmes ne sauraient tout à fait utiliser le même produit, de peur de favoriser un mélange des sexes, voire une confusion qui fait si peur à certain.e.s : un garçon n'est pas une fille et une fille n'est pas un garçon, chacun.e ses produits, ses outils, ses objets usuels ou non, etc.
Nous avons donc des brosses à dents (rose) pour filles et des bleues pour garçons (comment a-t-on fait si longtemps pour acheter des brosses identiques ?), des dicos filles et des dicos garçons, des rasoirs idem, des déodorants, des bouchons d'oreille, des vélos, des produits alimentaires, etc. Et des alcools. Sans surprise, les alcools "pour femmes" se présentent sous un habillage très "fille", de couleur rose la plupart du temps afin d'être identifiés immédiatement.
Le vin rosé lui-même a toujours été le soi-disant vin préféré des femmes, à cause de sa couleur sans doute ainsi que de sa fraicheur et de la légèreté de son goût, les hommes préférant les vins plus lourds ou les alcools forts.
Le marketing de l'alcool en direction des femmes va donc jouer sur la fraicheur et la légèreté : on y ajoute des fruits (pamplemousse, framboise pour un goût plus sucré (les femmes aiment les douceurs...) et, pour rassurer sur le manque de dangerosité, le degré d'alcool est moindre que dans les bouteilles de vin traditionnelles. On crée des bouteilles colorées, design, des cocktails "fun" pour inciter de nouveaux consommateurs à boire, notamment les jeunes et les femmes, les accoutumer et les fidéliser. La notion de légèreté fait aussi référence au light de nombreux sodas et de gammes de produits alimentaires, les femmes se devant de rester minces, pour plaire, mais aussi pour montrer qu'elles sont bien dans leur peau et en contrôle.
- Exemple : "Very Pamp Bio, né du parfait équilibre entre la fraicheur du vin rosé et la douceur du pamplemousse, vous séduira en bouche par des saveurs subtiles et fruitées".
On retrouve la fraicheur, la douceur, le fruité, rien de trop violent pour ces êtres délicats que sont les femmes (du moins quand elles sont jeunes et "fraiches", soit donc les cibles privilégiées de ce produit).
- Extrait du blog SOWINE
https://sowine.com/blog/femmes_etiquette_vin_communication_marketing/
L’univers des cocktails fait figure de précurseur en la matière : les cocktails saveurs litchi, pomme, poire et pamplemousse font florès, avec des exemples parlant comme les cocktails pétillants Soho de la marque Pernod. Après le succès de Soho Gloss, déjà condensé de « girly-tude » avec sa teinte framboise vive, la marque au parfum d’Asie mise sur une communication pastelle et aquarelle pour lancer ses deux nouvelles références acidulées « Hanami » et « Misao ». Une image de douceur et de raffinement qui invite davantage à un pique-nique chic au soleil entre filles qu’à une ambiance de fête nocturne…
Autre invitation au soleil d’un apéro en terrasse : le tout nouveau 51 Rosé aux extraits de fruits rouges à savourer en piscine. Cette innovation de la marque d’anisé est très maligne : parfaitement tournée vers une cible féminine, elle lui donne, clé en main, les « styles de consommation », avec notamment des accords avec « un barbecue chic » ou des « sushis raffinés, simples et légers ».
Il semble à la lecture de cet extrait que les marques visent avant tout des femmes jeunes et urbaines, appartenant à une classe socio-professionnelle assez aisée.
Pousser à la consommation les femmes ne signifie pas que les femmes ne buvaient pas, avant, mais plutôt que les femmes buvaient seulement en certaines circonstances tolérées socialement ou devaient se cacher pour le faire. Traditionnellement, les femmes qui boivent sont très mal vues par la société, alors que pour un homme (dans des limites raisonnables évidemment) c'est, selon l'alcool bu, signe d'éducation, de bon goût, de rigolade, de fraternité, de virilité...
Jusqu’aux années 1960 trois types de femmes seulement, dans la publicité, sont des consommatrices : la nourrice qui est montrée buvant de la bière pour améliorer la qualité de son lait ; la bourgeoise emperlée qui consomme avec des amies un vin cuit ou du Champagne, en sortant de l’Opéra, en terrasse en bord de mer… et la demi-mondaine buvant et faisant boire du Champagne, du cognac ou de l’absinthe à des hommes âgés dans des brasseries ou des cabarets", analyse Myriam Tsikounas....
... Les femmes apparaissent beaucoup plus souvent en tant qu’hôtesses, servant à boire sur un plateau, posant des alcools sur une table… Les textes s’adressent à des acheteuses, pas à des consommatrices
En présentant l'alcool sous un jour "girly", "cool", "fun" on cible de nouvelles consommatrices, de plus en plus jeunes ; la honte disparait, boire ces nouveaux vins et alcools devient au contraire un moyen de montrer combien on est branchée.
- Le Point : En 2020, l'alcoolisme au féminin est-il toujours tabou ?
- Dr Laurent Karila : Oui, une femme qui boit, cela dérange encore ! Au début des années 1900, une femme qui buvait, c'était une mauvaise femme, une mauvaise mère, une ivrogne, une moins que rien… Ces dernières années, les industriels ont tout fait pour démocratiser la consommation d'alcool en développant activement un marketing de genre avec de nouvelles stratégies de vente ciblées (bières parfumées, champagne et vin rosés…). La société a toujours cette image inconsciente de la femme qui doit prendre soin d'elle, du conjoint, des enfants, du foyer, être performante au travail. Certes, une femme qui boit est un peu moins mal vue, surtout chez les jeunes, mais elle conserve une image un peu délétère. C'est assez générationnel : on a, d'un côté, des femmes, au-delà de 50-60 ans pour qui c'est gênant, honteux, qui le masquent le plus longtemps possible, et, de l'autre, on a la génération des jeunes femmes, 20-40 ans, qui pratiquent sans complexe les afterworks ou autres pots de bureau, pour qui toutes les occasions sont bonnes de boire un verre ou plus, voire de se rendre ivre…
12 % des femmes cadres ont un usage à risque de l'alcool, soit le plus fort pourcentage de consommation à risque. Un chiffre plus élevé que chez les ouvrières et les artisanes (plus de 8 %) et les employées de bureau, les commerciales ou les agentes de service (environ 7 %).Source
Alcool : « Les femmes se cachent pour boire et ne consultent pas »
ENTRETIEN. Le psychiatre et addictologue Laurent Karila tire la sonnette d'alarme sur un nouveau phénomène : l'alcoolisme caché de femmes jeunes et actives.
https://www.lepoint.fr/societe/alcool-les-femmes-se-cachent-pour-boire-et-ne-consultent-pas-28-01-2020-2360124_23.php#
Jamais l’alcoolisme féminin n’a été autant exposé. Comment expliquer cette tendance ?
"Les jeunes femmes boivent de plus en plus tôt. Or plus la consommation d’alcool est précoce, moins bon est le pronostic. Il n’y a qu’à voir les campagnes publicitaires autour des femmes. Elles et les jeunes sont les nouvelles cibles des alcooliers. La femme est l’avenir du vin selon le credo des industriels. Si on regarde les dernières campagnes publicitaires, on voit que les bouteilles de pastis ont changé, que les verres donnés en promotion sont effilés, féminisés. Les étiquettes des bouteilles de vin changent également, avec des motifs épurés et stylisés. L’alcool est désormais souvent associé à la femme élégante, fortunée, qui a du pouvoir. Il y a aussi l’enfer des courses : lorsque nos patientes sont en cours de soin et qu’elles se battent pour être abstinentes, elles ont beau éviter les rayons spécialisés, l’alcool les suit jusqu’aux caisses. Dans certaines grandes surfaces, les produits alcooliers se rapprochent de ceux dédiés aux femmes, type serviettes hygiéniques ou savon. Tout ça est très bien étudié."
Source
Les femmes qui ont un problème avec l'alcool ne sont pas celles que l'on croit
https://www.liberation.fr/france/2021/01/03/les-femmes-qui-ont-des-problemes-d-alcool-ne-sont-pas-celles-que-l-on-croit_1810217/
Influence des images
L'impact du cinéma et des séries n'est pas non plus négligeable dans la consommation d'alcool des adolescents et des jeunes femmes comme des jeunes hommes : un personnage valorisé, admiré qui en consomme suscitera l'envie de se comporter comme lui. La marque sera mémorisée et choisie dans un processus d'identification.
Exemples de marketing genré et de sexisme
- La levrette, la connotation sexuelle est évidente ; sur l'étiquette on lit" une petite levrette entre amis" "bière blonde de position". Le mauvais gout, la grossièreté, l'humour bien gras ("bien lourd" comme écrit sur l'étiquette de la cuvée des connards) stéréotypes d'un masculin sans nuances, qui pense avec son sexe plutôt qu'avec son cerveau, le beauf dans toute sa splendeur. La femme (la lapine aux oreilles roses, la blonde) est un objet sexuel, consommable. On imagine facilement la rigolade quand on demande au bar (que l'on soit une femme ou un homme) : une levrette s'il vous plait...
Parmi les autres bières aux noms tout aussi évocateurs , citons "la kekette" qui existe en rousse, soit la "kekette red", en "large", etc.
https://biere-la-kekette.fr/
La même brasserie produit aussi une bière appelée "La fessée" (sur l'étiquette, rétro, une femme donne la fessée à son mari).
Tout aussi sexistes, "La blonde facile" et "La brune légère"(https://www.bfmtv.com/international/des-blondes-faciles-une-marque-de-biere-accusee-de-sexisme_AN-201806080081.html) ou encore la bière "La pêcheresse"ou l'alcool "La belle Sandrine" (avec une femme dénudée sur leurs étiquettes), les cocktails sans alcool Cougar et Nymphette, etc.
Une simple recherche sur internet fournira son lot d'exemples de mauvais goût et de stéréotypes sexistes.
- Vin "Jolies filles" : silhouette fine, gracieuse, une main sur le chapeau (qui évoque l'été, période où se vend le plus de vin rosé qui se boit frais), l'autre main tient un sac à main, accessoire indispensable (mais qui semble mal adapté au transport de la dite bouteille). Le rosé, vin de filles comme vu plus haut, dont la légèreté et la fraicheur, caractérisent aussi un féminin stéréotypé que l'on retrouve dans les publicités pour les déodorants par exemple).
La version masculine "Les beaux gosses" est un vin rouge, un vin soi-disant plus masculin, au goût plus "affirmé" plus "puissant".
- On retrouve la différenciation genrée rose pour les filles/rouge pour les garçons dans ces cuvées "Des connasses" et "Des connards", on s'intéressera ici aux étiquettes :
Un vin bien lourd qui ne vous lâchera jamais la grappe : lourd (peut caractériser un vin, mais ici caractérise le "connard"), comme la grappe fait référence à la grappe de raisin, mais aussi à ce type lourdaud qui s'accroche et dont on ne peut se défaire. Une image très dévalorisante du masculin.
Idéal pour accompagner les commérages et autres ragots entre copines : les filles entre elles papotent, de vraies pipelettes, adorent les potins et autres ragots, elles ont des conversions superficielles et parfois malveillantes.
- La bière pour femmes AUROSA
Voir l'article plein d'humour de Mimy Haegel
https://www.madmoizelle.com/biere-pour-femmes-803627
- Bières aux noms sexistes
«Trop amère, pas assez légère pour elles… les clichés sur la bière et les femmes sont légion, soupire Carol-Ann Cailly, sommelière et blogueuse spécialiste de la bière artisanale, et fondatrice du site Brewjob. J’ai cherché des études scientifiques justifiant le fait que les femmes préféreraient les boissons sucrées, mais bien sûr, ça n’existe pas. C’est seulement une norme.»
https://www.letemps.ch/societe/biere-cette-boisson-sexisme-roi
Remarque : outre les stéréotypes sexistes, l'univers de l'alcool contient aussi son lot de stéréotypes de classe : la bière est populaire, apprécier le vin demanderait un certain niveau d'éducation, les alcools forts comme le whisky ou le cognac sont chers et réservés aux classes supérieures.
Un peu d'histoire...
... on sait que la bière est d’abord une histoire de brasseuses, comme le rappelle la spécialiste Elisabeth Pierre: «Initialement, la fabrication de la bière, liée au pain, était réservée aux femmes. A partir du XIIIe siècle, des moines se sont mis à brasser, mais l’on trouve une majorité de femmes parmi les grandes figures historiques, telle la religieuse Hildegarde de Bingen, botaniste et première brasseuse à avoir consigné l’importance du houblon dans l’élaboration de la bière, au XIIe siècle. En Angleterre, le savoir-faire était également féminin avec les alewives, à l’origine des premiers pubs. Mais la révolution industrielle a sorti la bière de son univers rural et domestique, avant que le marketing n’en fasse une boisson d’hommes quand les femmes n’ont pourtant jamais cessé de brasser.»
https://www.letemps.ch/societe/biere-cette-boisson-sexisme-roi
Une vidéo
La bière, une boisson d'homme ?
Informations sur l'alcool
Chiffres 2020
Les français et l'alcool
https://www.santepubliquefrance.fr/les-actualites/2020/consommation-d-alcool-en-france-ou-en-sont-les-francais
Accidents
- L'alcool est responsable de 30% de la mortalité routière ;
- Le risque d'être responsable d'un accident mortel est multiplié par 17,8 chez les conducteurs alcoolisés ;
Coût social
Le « coût social » de l’alcool et celui du tabac sont presque identiques. Chacun est quasiment égal à 120 milliards d’euros (environ 118 milliards pour l’alcool et 122 milliards pour le tabac), suivi par les drogues illicites (9 milliards d’euros) (chiffres 2015)
Source : https://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/eisxpkv9.pdf
Plan addiction 2018-2022
L'alcool, le grand oublié
https://sante.lefigaro.fr/article/l-alcool-grand-oublie-du-plan-addiction-2018-2022/